Le Roman Historique acte 3

Publié le par roman-historique.over-blog.com

Le Roman Historique

 

         Sur la toile de fond de la grande Histoire, il est plaisant au romancier de tisser ses petites histoires. Il utilise l’Histoire non pour la réécrire, mais pour créer de la fiction vraie. La sortie de mon livre « L’apothicaire de la rue de Grenelle » est prétexte à tenter de définir ce genre littéraire que l’on nomme Roman Historique.

         Pour ne pas prêter à confusion entre histoire et Histoire, je n’emploierai ce terme qu’à propos de la grande Histoire. Dans l’autre cas j’utiliserai plutôt ceux de récit ou de fiction.

 

         Commençons d’abord par répondre à la question : « qu’est-ce qu’un Roman Historique ? »

         L’auteur imagine des personnages, des situations, des intrigues qu’il place dans le passé, dans un contexte historique. Il doit faire cohabiter habilement un univers fictionnel dans un univers historique. Plusieurs possibilités s’offrent à lui.

         - 1) sa fiction peut interagir avec la réalité historique et la modifier. Ceci fait hurler les historiens, (cf A. Dumas qui utilise un personnage historique, Charles de Batz, seigneur d’Artagnan, qu’il recompose et refaçonne, et qui prend beaucoup de liberté avec l’Histoire).

         - 2) sa fiction peut se glisser dans des plis inexplorés de l’Histoire et ne pas toucher à celle-ci. L’Histoire peut servir alors seulement de décor ou être un élément qui justifie les actions des personnages fictionnels.

         J’ai choisi cette dernière option pour mon ouvrage. Les personnages inventés sont peu nombreux, ils se limitent à la famille Lasalle et ses proches parents. Certains personnages historiques sont invités à interagir avec les personnages inventés tels qu’Abraham Duquesne, Mr de La Reynie, Charles de Nazelle, Moyse Charas, Anne de Rohan-Chabot etc… J’ai pris soin de les faire intervenir à des moments crédibles compatible avec leur emploi du temps. Lorsque je fais venir Duquesne rue de Grenelle chez Alexandre Lasalle, j’ai vérifié qu’il était bien à Paris ce jour-là et non pas en Bretagne dans sa propriété des Moros ou sur son bateau ou ailleurs. Il m’arrive donc d’infléchir ma fiction en fonction des exigences imposées par la vie des personnages historiques. Je travaille donc toujours sur un fil.

         Toujours pour définir le Roman Historique, Françoise CHANDERNAGOR[1] dit : « le Roman Historique n’est pas un roman sur l’Histoire, mais un roman dans l’Histoire ». J’ajouterai que dans le Roman Historique, la fiction fournit la chair et l’Histoire, le Temps. On peut dire aussi que l’Histoire est la toile de fond sur laquelle sont projetées les ombres des personnages nés de la pensée du romancier.

        

         Quelles sont les origines du Roman Historique ?

         On a coutume d’affirmer que le Roman Historique naît avec Walter SCOTT, donc début XIXème avec Waverley dont l’action se déroule au milieu du XVIIIème. Le Roman Historique existe bien avant SCOTT - citons la Princesse de Clèves de Mme de LAFAYETTE (intrigue située sous Henri II, 1ère moitié du XVIème) -, mais il est le premier à introduire le réalisme et la description du petit peuple. Avant  SCOTT, les auteurs de Roman Historique laissaient leurs personnages penser et s’exprimer comme eux-mêmes. Ils se contentaient de colorer l’époque par les costumes et quelques accessoires. Après lui, il y aura ALFRED DE VIGNY avec Cinq Mars, MERIMEE avec Chronique du règne de Charles IX, BALZAC avec Les Chouans, HUGO avec N.D. de Paris.

 

         Dans quel but écrire un Roman Historique ?

         Pourquoi écrire un Roman Historique plutôt qu’un roman contemporain ? Pourquoi ajouter à la difficulté d’écrire, le carcan du respect de l’Histoire ? Pourquoi s’astreindre à une longue et parfois fastidieuse recherche documentaire ? Alors qu’il n’ignore rien des multiples pièges dans lesquels il peut tomber, l’auteur de Roman Historique fait là un choix pour le moins étrange.

         Ressusciter les morts est un moyen de rendre les choses éternelles, de ne pas figer le passé. En quelque sorte, un moyen de lui rendre hommage. Aurait-il la prétention de corriger la diction de l’Histoire ? Peut-il affirmer que Dieu n’est maître que de l’avenir car le passé lui échappe ? Comme l’historien, l’auteur de Roman Historique se substitue à Dieu lorsqu’il ressuscite le passé. L’Histoire est le reflet des espérances de l’Homme.

        

 

         Les différentes formes de romans historiques, les genres voisins.

         Il ne faut pas confondre l’Histoire romancée et le Roman Historique. L’Histoire romancée est sensée rendre l’Histoire digeste. C’est l’Histoire mise en scène. Le piège dans lequel tombent parfois certains auteurs, c’est que le besoin de créer du pittoresque les détourne des chemins orthodoxes de l’Histoire. Il y a dans ce cas risque de confusion des genres. C’est peut-être ce que l’on peut reprocher à Jean TEULE si l’on est trop puriste, mais force est de reconnaître que l’on passe un bon moment avec Le Montespan, ce cocu magnifique.

         Le travail de Max GALLO dans son Louis XIV est, à l’instar de MICHELET, un travail d’historien assorti d’une mise en écriture qui s’empare du lecteur. Claude DUNETON, avec son Petit Louis, dit XIV, serait plutôt à rapprocher de TEULE. Dans les deux cas, aucun personnage de fiction n’apparaît dans le récit, mais tous deux ajoutent à la construction du Vrai celle du Vraisemblable. Chez Duneton s’ajoute un remarquable travail sur l’écriture dont l’expression est  très proche du populaire parisien du XVIIème.

         La frontière est donc floue entre le Roman Historique et le récit d’historien.

         Jean d’AILLON, docteur d’Etat en sciences éco, donne dans le polar historique. Son héros, Louis Fronsac, dénoue des intrigues, conséquences d’une Histoire revisitée et triturée telle L’enlèvement de Louis XIV. Philippe BLOUIN fait de même, (La peste blonde) mais en respectant davantage l’Histoire. Christian Gonzales, critique à Madame Figaro, dit de lui « C’est la rencontre miraculeuse d’Alexandre Dumas et de Sherlock Holmes ».

         Autre genre voisin : l’uchronie. C’est de l’Histoire alternative. On change un fait qui provoque un déroulement différent de l’Histoire. Le récit se déroule donc dans un Temps qui n’a pas existé. On ne peut plus parler de Roman Historique. Les auteurs les plus célèbres en sont : Philip K. DICK, Robert SILVERBERG, Grégory J. KEYES avec les Démons du Roi-Soleil qui émet l’hypothèse que Louis XIV est guéri de la gangrène en 1715 grâce au mercure philosophale. Le Roi-Soleil combat alors l’Angleterre avec de nouvelles armes alchimiques.

 

         Les liens entre Roman Historique et roman d’aventures

         Le Roman Historique se veut souvent pédagogue tandis que le roman d’aventures joue sur le registre des émotions. Dans ce dernier, l’Histoire est au service de l’aventure. Les Trois Mousquetaires de DUMAS peut être classé aussi bien dans les deux genres. Cette ambivalence est d’autant plus sensible que l’on remonte dans le Temps. Plus la connaissance d’une époque est imparfaite et plus le romancier peut se permettre de placer ses personnages dans des situations extrêmes et inattendues.

         Les situations de crise sont particulièrement recherchées par le romancier car elles sont matière à tensions et rebondissements. Dans L’apothicaire de la rue de Grenelle, cet état de tension est créé par la montée en puissance des exactions commises à l’encontre des Protestants par les séides de Louis XIV.

         Peut-être pourrait-on souligner que le vrai roman d’aventures se caractérise par la simplification et le manichéisme. Les personnages des Romans Historiques n’ont pas l’étoffe de héros au cœur pur, courageux, hors du commun. Ils sont à la fois plus communs et  plus complexes car, baignés dans un contexte historique, ils doivent faire plus « Vrais ».

 

Personnages historiques et personnages romanesques

         Dans un Roman Historique ces deux types de personnages sont amenés à se côtoyer d’où le risque de nuire à la vraisemblance.

         Personnellement, j’ai résolu le problème en laissant en toile de fond les grandes figures historiques – abstraction faite d’Abraham Duquesne – pour ne faire intervenir que des personnages secondaires de l’Histoire, ignorés du grand public et sur lesquels les historiens ne disposent que de renseignements fragmentaires. Cette ignorance m’a permis de les utiliser durant leurs moments d’amnésie historique.

 

         Les différents styles d’écriture

         Pour écrire un Roman Historique doit-on utiliser notre langage du XXIème siècle ou celui de la période considérée ? Je répondrais, ni l’un, ni l’autre. Il faut en quelque sorte être intemporel. L’apothicaire de la rue de Grenelle est rédigé en faisant appel à un arbitre : le dictionnaire encyclopédique d’Antoine Furetière, publié en 1690. Son respect garantit de tout anachronisme, tant au niveau des expressions que du vocabulaire. Mais, me direz-vous, on ne peut écrire comme Molière ? Certes, la syntaxe doit être d’aujourd’hui afin de rendre la lecture fluide et sans embarras. Les dialogues, quant à eux, sont beaucoup plus proches de l’époque et aident à faire « vrai ». Le : « holà, tavernier du diable, quand te décideras-tu à nous en bailler une pinte ? » fait plutôt partie du folklore des mauvais films de capes et d’épées.

         Dans Fortune de France, Robert MERLE utilise un vocabulaire teinté de termes d’époque. Il joint un lexique en fin d’ouvrage.

         Le Roman Historique est un art. Faire naviguer cet esquif entre les nombreux écueils que sont les anachronismes, les dialogues datés, les prémonitions rétrospectives relève de l’équilibrisme.

         Le Roman Historique est d’abord un roman. L’intrigue est fictive. Le cadre, temps spatial que temporel est réel et historique. Le Roman Historique obéit à une logique romanesque, soumise aux lois de la vraisemblance. Le romancier doit écrire en respectant les conventions du vraisemblable. Il se défend d’être historien, mais il a le souci de la crédibilité. Il veut être plus vrai que vrai. Il n’y a rien de pire qu’un Roman Historique victime d’une documentation incertaine. Brocardés à juste titre par les historiens et les férus d’histoire, ces romanciers de l’à-peu-près ont contribué à la mauvaise réputation dont est parfois entaché le Roman Historique. Diderot disait : « Le Roman Historique gâte l’Histoire par la fiction et la fiction par l’Histoire ». Stendhal n’était pas en reste en évoquant les romans de Walter Scott : « c’est de la tragédie romantique entremêlée de longues descriptions ». Quant à Théophile Gautier, il ne mâchait pas ses mots : « vérité fausse ou mensonge vrai, le Roman Historique a quelque chose de difforme et de monstrueux qui fait voir de quel accouplement antipathique il est né ».

 

        

         Que réclament les amateurs de Roman Historique ?

         Le lecteur amateur de Roman Historique réclame avant tout une plongée dans le Temps, une immersion dans l’Histoire. Il veut une intrigue bien ficelée dans un cadre historique connu. Il veut toucher du doigt – ou du bout des yeux -  la Petite Histoire de la Grande Histoire. Il ne faut pas perdre de vue qu’il est autant amoureux de littérature que passionné d’Histoire. Le romancier historique doit donc veiller à ce qu’aucun détail, fusse le plus intime, n’échappe à sa vigilance et ne rompe ainsi l’illusion qu’il a créée, fruit de longues et patiente recherches et études. Mais la recherche historique ne doit jamais être apparente dans le récit. C’est son absence qui serait dramatique.  

 

         En conclusion :

         En ce qui me concerne, je laisse mes personnages de fiction peindre la réalité de leur époque, mais la couleur locale ne doit pas être superficielle, elle doit être au cœur de l’histoire.

         Je voudrais vous quitter sur une jolie réflexion d’Alexandre DUMAS :

« La nuit est faite pour les poètes, les amoureux, les patrouilles, les voleurs et les romanciers »

 



[1] Françoise Chandernagor : membre de l’Académie Goncourt, énarque, « L’allée du roi » (Mémoires imaginaires de Mme de Maintenon) est son premier livre édité en 1981.

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